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12/18/2016

J’aime beaucoup Nimier. C’est un jeune Français d’une qualité toute neuve

"14 février. 

J’ai rencontré hier soir, chez Roger Nimier, Maria Casarès et Orson Welles. J’aime beaucoup Nimier. C’est un jeune Français d’une qualité toute neuve, tout extraordinaire. Ses écrits dans la Table Ronde, ses pages, qu'il publie dans la Table Ronde, sont coupées par son intelligence comme par un rasoir. Il a un regard aigu, il pose des problèmes dans la manière précise, rapide, définitive des Français du XVIIIe. Mais le problème posé, son intelligence toute moderne intervient, cruelle et cynique. Le problème devient sec, transparent, grinçant, comme un insecte épinglé sur la plage. De son regard aigu, fin, comme porté sur deux antennes d’insecte, tl touche les ailes, les jambes, les yeux, les poils hérissés sur Ia tête de l’insecte, cigale, papillon, sauterelle, grillon. Roger Nimier est sans doute le plus intelligent et le plus libre des jeunes Français intellectuels, et le plus vif. Il possède une qualité, qui fut un défaut chez une grande partie de la génération actuelle, en France. Il n'a pas de respect pour ce que j'appellerai la tradition de la sottise pompeuse. Je crois que, dans son for intérieur, il a déjà dépassé la rhétorique de la résistance et de la collaboration. Certes il court, lui aussi, le même danger qu'une grande partie de la jeunesse bourgeoise en France : le fascisme. Mais à la française, une manière qui n’est ni celle italienne ni celle allemande. Avec des mots moins politiques, être fasciste signifie accepter les formules de la grandeur nationale, précisément. Se rendre compte que « l’Europe glorieuse » est finie, c’est déjà une preuve de liberté, et de modernisme. L'homme ne compte pas sinon comme être humain, il ne compte pas pas comme Français. L'Italien, l’Allemand, l’Anglais. Nimier rit de tout. Il a une façon toute à lui de rire qui me fait penser à celle du croyant qui rit de l’athée... Et il est inutile de remarquer que, même en France, bon nombre d’intellectuels communistes sont des convertis de fraîche date, et des simulateurs, des hypocrites, qui ont suivi l’intérêt du moment ou a la mode."

Curzio Malaparte, "Journal d’un étranger à Paris", Denoël

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