« Depuis quelques temps, je porte mon 38 en permanence dans un holster d’épaule. L’ajuster, vérifier le barillet et m’admirer dans le miroir font partie des rites matinaux. Je me sens bien. Je suis le plus beau, le plus fort, et ce truc froid sous mon aisselle, c’est la puissance. C’est la mort aussi, et j’en suis conscient. C’est mon choix.
Porter une arme, c’est réduire son espérance de vie, c’est un défi permanent, un autre stade dans l’illégalité. Si parfois elle peut sauver la mise, elle signifie aussi la compliquer. Être en mesure de tuer signifie aussi devoir affronter de la part de l’adversaire une réaction beaucoup plus forte. Une arme, il faut l’assumer. Mais j’ai décidé que cela faisait partie du personnage que j’ai créé et je m’en servirai quand il le faudra. J’en accepte d’avance tous les risques.
J’ai vingt-trois ans, la folie de la jeunesse et tout me réussit. Chaque matin, je m’offre mon petit défi personnel. Je joue à la roulette russe avec moi-même. Une seule balle, un geste du poignet et clic! Mais je sais quel mouvement je dois donner quand je fais tourner le barillet avec le doigt pour faire en sorte que la balle se retrouve vers le bas. Puis j’appuie le canon sur ma trempe.
Fou, peut-être. Mais inconscient, pas du tout. Je relève toujours le canon de quelques centimètres une fraction de seconde avant d’appuyer sur la détente. Le clic matinal du chien qui frappe à vide me confirme dans la pensée que j’ai encore gagné et que la journée sera belle. Ça m’a servi à impressionner Bobby et Harry, réellement admiratifs devant tant de courage. Ils ignorent que, grâce à un geste répété des centaines de fois, je sais pertinemment que je ne cours aucun danger. Cela, ils n’ont pas besoin de le savoir. C’est pour cela que je suis le chef!
Mais, ce matin, la balle, en se logeant dans le plafond, m’a rappelé que je n’étais pas infaillible. Ce n’est ni la détonation ni la brûlure sur la peau de mon crâne qui m’ont abasourdi, mais le retour à la réalité. »
Parodie, Cizia Zykë, 1987.
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