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11/17/2014

Nouvelle "La Cavalcade" - Der Wasserspeier (tumblr)

Club Roger Nimier



 La scène se déroule dans une plaine où le vent apporte des odeurs des plus inhabituels à un groupe d’homme assis sous un grand chêne brisé net, par main d’homme ou par la force de la nature ? Le récit n’y prête pas attention.

Ce groupe d’hommes est donc assis là et chacun se prête à une occupation pour tromper l’angoisse ou l’ennui pour les plus braves ou les plus téméraires. Deux de ceux là sont assis à l’écart au pied de la frondaison foudroyée ou ils devisent en tirant de grandes lampées de liqueur d’une gourde de peau.

Leurs regards est soudain attiré par un jeune cadet assis à l’écart et fixant l’horizon d’un air rêveur et mélancolique.

« - Dis-moi camarade qu’a donc le jeune Werther ? Ca fait depuis quelques jours qu’il est comme ça, il ne s’amuse même plus comme avant, lui d’habitude si enjoué, si besogneux, serait-il malade ?

-Mais non Franz, tête de pioche, » lui répondit son camarade en lui prenant la gourde pour en siffler une bonne gorgée, « ce pauvre Werther est amoureux, tu te souviens de cette belle romaine qu’il avait rencontré lorsque nous étions stationnés à C. ?

- Bas les pattes, moustachu de malheur ! » S’écria Franz en reprenant vivement sa gourde, « cette eau de vie m’a couté les yeux de la tête et les charmes de sa propriétaire. »

- Tu n’en es pas amoureux toi, ne t’a-t-elle pas laissée un souvenir impérissable dans l’espoir de ton retour proche ? » Répondit sarcastiquement son compère en lissant sa barbe de mousquetaire d’ancien temps qui faisait sa fierté. «Tu t’accroche à ton breuvage comme ce pauvre Werther à son sabre. »
En effet le jeune cadet assis les yeux dans le vague ne lâchai pas la poignée de son sabre de cavalerie ou séchaient quelques caillots de sang témoins d’un affrontement récent.

« -Amoureux ! Moi ! Pouah, que le Barbu d’en haut me préserve des affres de tomber entre les serres d’une femme. La dracu de cette payse ! Comme le dise si bien ces braves roumains. Mon amour est multiple l’ami, je ne l’accorde qu’à ma Patrie qui m’a offert son hospitalité, mon cheval qui me porte et mon revolver qui s’acquitte à merveille de mes attentes ! » S’exclama Franz en tapotant amicalement le baudrier ou se trouvait un solide pistolet dont la crosse marquée de nombreuses entailles témoignaient de l’efficacité meurtrière du propriétaire.

« -Mais pourquoi donc ?

-Pourquoi donc ? Pourquoi ? Pourquoi tout être humain veut s’infiltrer dans la psyché de chacun de ses congénères, l’Amour d’une femme est un piège, il avilit l’homme, malheureux que tu es, je mettrais ma solde en jeu que le premier affrontement de la nuit des temps s’est réglé à coup de gourdin pour une femme.

-Le premier meurtre a été commis par Caïn sur son frère Abel qui avait fait une meilleure offrande à…

-Arrête avec ton catéchisme de grenouille de bénitier ! » L’interrompit Franz « Ca ne compte pas, ce sont des histoires de familles qui ne doivent pas mettre en danger ma solde ! Tuer son frère qui a-t-il de plus banal ? Nous le faisons bien chaque jour que ton Dieu fait, et je l’en remercie de cette moisson quotidienne que nous lui réexpédions avec tant d’ardeur.

-Ce ne sont pas nos frères, mais nos ennemis.

-Ennemis, frères, où est la différence ? Ils sont humains comme nous, européens de surcroit. Nous aurions pu boire ensemble et rouler sous la table comme de vieux compagnons avec les gars d’en face.

-A propos de boisson si tu pouvais me…

-Boit donc de tout ton saoul animal que tu es ! Mais ne soit pas trop ivre lorsque le ‘pitaine sera là et lorsqu’il nous faudra remonter en selle. » Dit Franz en lui tendant sa précieuse gourde dont le floc-floc indiquait un assez dangereux niveau de contenance.

-« Merci tête de bois. » Répondit son moustachu collègue en attrapant avidement ladite gourde. « Et ne t’inquiète pas pour moi, il en faut plus pour m’envoyer voir Morphée. Cela dit je ne comprends pas ton rejet de l’amour pour une femme…

-L’amour pour une femme est incarnée, il se doit d’être charnel et continu, sinon ta bourgeoise prend le large avec le premier jean-foutre venu. Les femmes sont dotées, selon moi d’un sixième sens pour diriger les hommes, et en faire l’instrument de leur puissance. Regarde le roi des Français, de l’époque où ils avaient encore un ordre établi et stable dans l’amour de tes bondieuseries, ce pauvre Henri IV a été ouvert en deux par un horrible géant roux et à moitié idiot.

-Je ne vois pas le rapport entre ton Henri quelque chose, cet affreux rouquaing et les femmes.

-Mais parbleu ! Il a été percé, divine outre qu’il était, rue de la Ferronnerie tout bêtement parce que transi d’amour, il allait combler sa maitresse de son feu ardent. Même le grand César, Avé Julius, s’est laissé prendre dans les filets d’une Cléopâtre.

-J’ai connu une Cléopâtre, un jour dans un bordel de M. je comprends pourquoi ce bon vieux Jules s’est laissé attirer.

-Sauf que cette Cléopâtre était reine d’Egypte, elle a provoqué une guerre par la suite entre les héritiers de César qui avait eu entre-temps la mauvaise idée de ne pas écouter son haruspice et de se promener sur le forum.

-Son harusQuoi ?

-Haruspice, son devin quoi. Et ne t’endors pas sur la gourde, depuis tout à l’heure tu la siphonne comme un bienheureux. » Répondit Franz en portant sa gourde, revenu entre ses mains, à ses lèvres. « Voilà, « ite missa est » comme le dit si bien ton curé, nous voilà avec un cadavre de plus sur les bras. » Ronchonna-t-il en lançant loin la gourde désormais vidée de sa substance et donc inutile à la suite du récit.

« -Tu comprend ce que je veux dire ? » repris Franz en extirpant sa pipe en écume d’une de ses fontes.

« Voit tu même la guerre de Troie qui selon Homère, qui au passage tenait mieux la boisson que tout le régiment, a duré 10 ans s’est faite pour une femme, Hélène, enlevée par un troyen amoureux à son belliqueux mari qui pour se venger a raclé tous les fonds de tiroir de la Grèce pour mettre à sac cette orgueilleuse cité.

-Ce que je comprends, c’est que tu es beaucoup trop instruit pour faire le métier que nous faisons. » Répondit éberlué le moustachu.

« -Je suis là parce que je m’ennuie, et comme ça je vois du pays, et me sers dans les bibliothèques pendant les pillages, je laisse l’or et les diamants aux soudards, la solde me suffit. Mais je fais main basse sur tout ce qui se lit, quand je ne tue pas, je lis, et puis on ne peut pas allumer un feu le soir au bivouac avec de l’or, alors qu’un livre lu et relu fait très bien l’affaire. » Répliqua en riant Franz.

-« Lire est un passe-temps de bourgeois, je préfère amasser autant que mon cheval peut porter pour pouvoir rentrer dans mon village et fonder un foyer. »

-« Fonder une famille ? Voilà un vrai passe-temps de bourgeois, pour montrer sa réussite et faire bonne figure durant l’office au premier rang de l’église, gonflé dans sa suffisance. Lire élève l’esprit bien mieux que feu ce divin breuvage. »

-« C’est ton avis, mais étant juif j’exhiberais ma « suffisance » à la synagogue si tu le permets. Moi je veux perpétuer mon nom et avoir des petits-fils dont l’un portera le nom d’Otto le grand, empereur des romains. »

« -Hé bien » s’exclama Franz en sifflant d’admiration. « Je vois que monsieur a de l’ambition. »

« C’est sans doute à ton contact d’homme de pierre ! » lui répondit amicalement le futur bourgeois, mais déjà barbu en diable.

Mais voici que soudain apparaissant au loin une estafette arriva, sanglé dans son bel uniforme noir aux reflets argentés, pour mettre à terme à l’interminable attente de ces hommes, aux uniformes identiques, ainsi qu’à ce dialogue.
« Rhabiller vous messieurs, et à cheval le capitaine arrive pour nous donner l’honneur de mener la dernière charge pour clore cette bataille qui s’annonce victorieuse. »

Une clameur de joie jaillie du torse de tous ces braves, ravi de retourner au feu, sabrer à tour de bras.

-« Dit moi camarade », demanda Franz en ceignant son Shako à tête de mort. « Depuis le temps que l’on se connait je ne sais même pas ton nom. »

-« Weininger, camarade ! Tiens donc, notre amoureux se réveille enfin. »

Le cadet semblait enfin sortir de sa léthargie mélancolique, ramassa ses effets et se remit prestement en selle, tout en gardant un air triste.

Franz se porta à sa hauteur et lui dit « - Ne t’inquiètes pas, ne pense plus à ta belle sinon tu ne finiras pas la journée… »

Mais le cadet ne portais peu d’attention et ne répondit pas à ce conseil avisé.

Franz retourna auprès de son moustachu de Weininger et pesta « - Ce pauvre bougre va se faire tuer, il est tellement triste qu’il semblerait déjà avoir franchi les frontières vers l’outre monde. »

« - Ah tu sais,» lui répondit Weininger, « on ne se tue pas pour une femme, on se fait tuer. »

« - Il semblerait que ma leçon porte ses fruits.» remarqua Franz d’un air amusé.

« -Je dois me rendre à l’évidence que tu as plutôt raison, j’enseignerais cette leçon de vie en ton souvenir à mes petits-enfants lorsque je serais devenu vieux et sage, en espérant juste qu’il ne finisse pas comme toi. »

Sur ces mots, les hommes se remirent à cheval et formèrent une ligne au moment où l’officier arriva passer sa troupe en revue avant la dernière cavalcade de la journée, où plusieurs y laisseront leur vie sur le champ de bataille.

« Messieurs, » dit-il d’une voix forte et ferme, « sabre au clair, la Mort n’attend pas. »

«- Voilà une vraie compagne » chuchota Franz à l’oreille de son comparse moustachu. « Elle n’est pas difficile dans les cadeaux qu’on lui offre. »

« - Tu vois bien que tu es finalement amoureux d’une femme bougre de sot ! » Répliqua son collègue.

« - Hé oui, d’une femme, et quel femme !! Vive la Mort » s’écria Franz dans un grand éclat de rire au moment où la troupe pris son envolée, le sabre haut, pour le feu de la bataille.

Son éclat de rire se perdit dans le tumulte de cette chevauchée et le calme revient autour de ce chêne brisé sur cette plaine où flottaient l’odeur de poudre, de sang et de mort.
"La Cavalcade", de Der Wasserspeier

Note de l'auteur : Cette histoire se situe dans un espace-temps étranger à notre histoire, en effet l’auteur ne souhaite pas ancrer son récit dans une période fixée pour une plus grande interprétation et une plus grande liberté narrative, libérée du carcan de la rigueur historique.

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