Par Irina de Chikoff Publié le 13/02/2015 à 15:52 publié sur lefigaro.fr
Elle aimait déjeuner au bar du Pont Royal qui fut
l’un des QG des Hussards. On y voyait parfois encore Jacques Laurent
tout chiffonné. Geneviève Dormann trouvait qu’il ressemblait de plus en
plus à un parchemin chinois. Je ne me souviens plus si Geneviève et lui
étaient fâchés ou réconciliés. Peu importe. La Fanfaronne avait ses
jours comme les duchesses du temps passé. Tantôt elle vous faisait fête.
Tantôt ses yeux bleus devenaient lasers et vous sciaient en deux. Ou
trois. Ou quatre. Peu importe.
Elle n’était pas méchante contrairement à ce qui se disait dans
Paris, mais elle se serait fait pendre pour un bon mot. Ou un calembour.
Et puis elle détestait les cons. Les pédants. Les pleins de soupe. Les
rapiats. Les culs serrés. Et les Tartuffes. En général, les nouveaux
bigots étaient de gauche. Cœur dur et tripes molles comme disait
Marguerite Yourcenar. Marguerite, elle l’aimait au point d’avoir adapté
pour le cinéma son Coup de grâce. Geneviève aurait bien aimé avoir écrit ce petit chef d’œuvre. Ou le Hussard bleu de Roger Nimier.
Ah Nimier! Elle pouvait en parler pendant tout le repas en clopant
ses Gitanes bleues. La fumée faisait des jolies volutes autour de ses
cheveux blonds. Geneviève avait eu toute sorte de prix pour ses romans.
Même celui de l’Académie française. Seulement elle savait bien qu’elle
n’était ni Flaubert, ni Proust. Ca lui faisait chagrin. Mais les peines,
très jeune, elle avait appris à les garder pour soi. Mieux valait, en
bonne compagnie, boire un coup jaja et dire du mal des voisins ou des
cousins. Pour rire.
Comme elle aimait rire! De tout. De rien. Des importants. Des
imbéciles dont Georges Bernanos avait prévu la prolifération. En
réalité, disait elle et ses narines frémissaient de malice, ils ne sont
pas beaucoup plus nombreux aujourd’hui que dans les siècles passés, mais
on leur a donné la parole. Ils ne la lâcheront plus.
Anar, libertaire, luronne d’une droite buissonnière, insolente, elle
pratiquait, comme ses aînés les Hussards, l’ironie par désenchantement.
Tendresse blessée. Les années grisaillaient. Et plus elles passaient,
plus Geneviève se sentait «comme un océan transformé en lac et qui
aurait la nostalgie des marées». Pas seulement des marées. Des tempêtes.
Des bourrasques. Des gros coups de tabac. D’une vie aventureuse.
D’amours tumultueuses.
Oh elle a eu sont lot de passions! Et d’orages désirés. Mais comment
dire. Tout ca manquait tristement de panache. Ou simplement de légèreté.
De gaité. Elle trouvait bête de vivre au vingtième siècle. Elle
n’aimait guère la modernité. Cette platitude.
L’humour la sauvait souvent mais la nostalgie revenait voiler son
regard bleu. Il ne vous sciait plus en deux. Ou trois. Ou quatre. Il
vous déchirait soudain le cœur.
Le sien s’est arrêté de battre le 13 février dernier. Adieu phénomène! De l’autre côté de la vie, tu vas redevenir océan.
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