"Jamais, jamais, jamais nous ne nous lasserons d’offenser les imbéciles ! Jamais, jamais, jamais nous ne nous désintéresserons tout à fait de ces faces rondes, éclatantes de sécurité, de contentement de soi, d’égoïsme candide, de bêtise tranquille et confortable, qui nous prêchent — à leur insu — la nécessité des vertus héroïques, la parfaite convenance, l’opportunité — que dis-je !… l’exceptionnelle urgence de toutes les folies de l’honneur. Chères têtes rondes ! Chers regards désapprobateurs, et si touchants, si pathétiques parce que leur gravité n’est que feinte et que nous trouvons, nous— mon Dieu ! — sous tant de dignité glacée, une terreur ingénue de la vie, tous les rêves de l’enfance morts sans baptême — l’enfance, vous dis-je ! l’enfance sublime. Quelle tristesse ! Tant de gens qui n’ont jamais osé franchir l’adolescence pour entrer tout entiers dans l’âge mûr, avec la part noble de leur être, et qui ont choisi d’être stériles, par crainte d’embarras ultérieurs ou de perte de temps. Perte de temps ! Ils ont perdu leur vie. L’aventure de la jeunesse, ce don de Dieu à chacun de nous — l’invention, l’inspiration magistrale de Dieu, qui est comme le thème révélé de la symphonie, l’image augurale de notre destin particulier — magnifique aventure! — ils l’ont laissée exprès, elle les menait trop loin, ils n’ont pas voulu courir le risque de la sincérité, de la simplicité, de la grandeur, ils tombent dans le médiocre sans comprendre que la plus extraordinaire, la plus hasardeuse, la plus fantastique entreprise, c’est encore de subsister en imbéciles dans un univers ruisselant de beauté."
Georges Bernanos
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