« On a dit que l’homme qui tient une espingole à la droite de la Liberté était le portrait du peintre.
De là à dire que Delacroix s’était battu comme un enragé, il n’y avait qu’un pas.
Aussi se répandit-il que Delacroix était un républicain furieux.
Pauvre cher Delacroix, nous avons passé notre vie à être de la même opinion en arts, mais ennemis jurés en politique.
Rétablissons donc les faits et ne laissons pas passer ce crieur de fausses légendes.
Lorsque, le 27 juillet, je rencontrai Delacroix du côté du Pont d’Arcole,
et qu’il me montra quelques-uns de ces hommes qu’on ne voit que les
jours de révolution et qui aiguisaient sur le pavé l’un un sabre,
l'autre un fleuret, Delacroix, je vous en réponds, avait grand peur, et
il me témoigna sa peur de la façon la plus énergique.
Mais quand Delacroîx vit flotter sur
Notre-Dame le drapeau aux trois couleurs, quand il reconnut lui,
fanatique de l’Empire, dont le père, sous l’Empire, avait été préfet des
deux villes les plus importantes de France, dont le frère aîné avait
été blessé sur cinq ou six champs de bataille, dont le second frère
avait été tué à Friedland, quand il reconnut. lui, fanatique de l’Empire, l’étendard de l’Empire, ah! ma foi, il n'y tint plus, l’enthousiasme prit la place de la peur, et il glorifia ce peuple, qui d’abord l’avait effrayé.
Le portrait de l’Homme à l’espingole le
portrait de Delacroix? Allons donc! celui-là est un véritable homme du
peuple et Delacroix est une nature aristocratique, je vous en réponds.
Celui-là est un modèle tout simplement, la Liberté est un modèle, le
Gamin lui-même est un modèle. Jamais Delacroîx n’a tant fait pour un
tableau. Je le sais, moi qui lui ai vu faire la plupart de ses
tableaux.»
Alexandre Dumas
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