Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande
d’écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre
cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s’il vous était
interdit d’écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus
silencieuse de votre nuit; me faut-il écrire ? Creusez en vous-mêmes à
la recherche d’une réponse profonde. Et si celle-ci devait être
affirmative, s’il vous était donné d’aller à la rencontre de cette grave
question avec un fort et simple “il le faut”, alors bâtissez votre vie
selon cette nécessité; votre vie, jusqu’en son heure la plus
indifférente et la plus infime, doit être le signe et le témoignage de
cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous
essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez,
aimez et perdez. N’écrivez pas de poèmes d’amour; évitez d’abord les
formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus
difficiles, car il faut la force de la maturité pour donner, là où de
bonnes et parfois brillantes traditions se présentent en foule, ce qui
vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous
offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les
pensées fugaces et la foi en quelque beauté. Décrivez tout cela avec
une sincérité profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous
exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les
objets de votre souvenir.
Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke.
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