"Que le peuple français est donc changé ! Les hommes de ma génération ont le visage plus dur et plus pathétique, les traits plus virils, le regard plus enfantin, et ce je-ne-sais-quoi de plus ancien, de las, de décidé, de sevère, des visages français du temps où la différence entre la France et l’Europe était bien plus profonde qu’aujourd’hui, du temps où la France était davantage France et moins Europe : où elle était la France. Presque tous les hommes qui avaient vingt et vingt-cinq ans en 1914 portent la moustache, ont les cheveux coupés court, sans soin, le front bas, les yeux clairs dans un visage sombre à la peau opaque. Ce sont les Français que j’ai vus la première fois en 1914, sur les routes de France, dans les forêts de l’Argonne, dans les tranchées de la Champagne pouilleuse, dans les usines et à la gare de l’Est à l’aube, quand ils partaient pour le front de Champagne, au printemps 1918, et que la Grosse Bertha tirait sur Paris, sur la rive gauche. Ce sont des hommes d’une race plus dure, qui s’habillent plus simplement, demeurés fidèles à la casquette, aux souliers à lourde semelle, au pantalon de velours serré à la cheville, à la cravate nouée sur une chemise de toile écrue. Leur moustache retombe des deux côtés de bouche, et c’est une bouche marquée par les coups de rouge, par les pernods et les absinthes d’autrefois, par l’éternel mégot de caporal au coin des lèvres."
Curzio Malaparte, Journal d’un étranger à Paris.
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