Je suis condamné à mon argent, je ne peux aimer personne, pas même
moi, mais je hais tout le monde. Mon régal, c’est de lire dans les journaux les
listes de fusillés, le compte rendu des procès, les dénonciations. Ça me fait
jouir. Des juges bien dégueulasses, des journalistes indicateurs, des besogneux
de la Résistance et des vaniteux, qui hurlent à la mort ou qui vendent leurs
copains pour une petite place au soleil ou un reflet à la boutonnière, et les
bons cons de la collabo, les sincères, les paumés, les salauds aussi, tout ça
en vrac au poteau, en prison, aux travaux forcés. Ça me fait jouir. Ça me fait
jouir. Moi le gros dégueulasse, le vendu numéro un, je suis considéré, le
préfet à mes bottes, les sourires de monsieur le ministre. C’est pour moi qu’on
fusille les miteux, les plumitifs, les subalternes, pour rassurer la grosse
épargne. J’en suis très touché –
Marcel Aymé, Uranus
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