« (...) On compte grosso modo deux
catégories d'êtres humains : ceux qui sont de gauche et ceux qui sont de droite.
Il est élégant d'être de gauche, ridicule d'être de droite. Donc, soyez de
gauche. D'ailleurs, être de gauche va de soi : on est de gauche comme on
respire, comme on est bien-portant. La droite est une maladie ; vous ressentez à
l'égard de ceux qui en sont atteints le mélange de pitié, de répugnance et
d'aversion que ces misères peuvent inspirer à un être sain. Maladie honteuse «
de surcroît », qui dérègle le système nerveux et porte souvent les sujets
infectés aux violences physiques. Il n'est pas nécessaire, pour prendre une
telle attitude, que vous ayez des convictions. Une certaine discrétion allusive,
quelques adjectifs que vous mettrez dans vos articles feront savoir aux
connaisseurs, mieux que des professions de foi « tapageuses », que vous
appartenez à la cohorte sacrée des hommes de bonne volonté œuvrant pour un
avenir meilleur. Par exemple, ne dites jamais « la droite » tout court mais « la
droite musclée », et attristez-vous de la quasi-disparition de « la droite
classique » ou de « la vieille droite », qui étaient formées de personnes « dont
on pouvait ne pas partager les idées, mais devant la respectabilité desquelles
on était forcé de s'incliner ». A présent la droite est en proie aux « vieux
démons » de la xénophobie et du racisme. Ne vous interrogez pas sur l'âge des
démons qui habitent périodiquement la droite : ils sont toujours vieux. Il n'y a
pas de jeunes démons, du moins à notre connaissance. Nous avons étudié la presse
française avec la plus grande attention depuis une trentaine d'années que les
démons sont apparus et nous n'en avons pas trouvé un seul qui eût quelque
fraîcheur.
Il y a d'autres manières, plus subtiles, de
suggérer que l'on est du côté des « forces de progrès ». Une des
caractéristiques du journaliste de gauche est une inlassable (et bienveillante)
curiosité pour « les problèmes sexuels », singulièrement « l'homosexualité », à
propos de laquelle il réclame « le droit à la différence ». Dans la hiérarchie
des sujets de gauche, les femmes viennent tout de suite après les pédérastes.
Elles ont, elles aussi, des droits « imprescriptibles », au premier rang
desquels celui d'avorter légalement. Rappeler qu'elles ont été battues et
violées pendant des siècles. Il est temps de montrer que « nous ne sommes plus
au Moyen Age ». Se gausser du « fameux concile » où l'on décréta que « les
femmes n'avaient pas d'âme ». Blâmer le Pape qui désapprouve « les contraceptifs
». (...) »
Jean Dutourd, Ça bouge dans le
prêt-à-porter
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